Vitrine n°10 : La collaboration encadrée

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Dans la région chartraine, des communistes forment l'organisation spéciale (OS), premier noyau de résistance en Eure-et-Loir. Les premières réunions ont lieu en août 1940 et réunissent Paul Maertens, Pierre Pinard, Raymond Brousse et Maurice Maugé. Ils récupèrent des tracts et des journaux clandestins venus de Paris à la gare, les copient et les distribuent. D'autres petits groupes se forment de la même manière jusqu'en 1941 à Lèves, Dreux, Bonneval, Villemeux, Chérisy, Saint-Martin-de-Nigelles, Anet ou Illiers. Après un temps d'organistion et la constitution d'un dépôt d'armes à Lèves, ils pratiquent sabotages et attentats sur les réseaux de communication, les stocks et les bâtiments réquisitionnés par les Allemands, ou organisent l'évasion de prisonniers de guerre. Ces premiers groupes de résistants sont particulièrement touchés par les arrestations de l'été 1941. Les rescapés intègrent les francs-tireurs et partisans (FTP).

Le 22 juin 1941, les troupes allemandes envahissent l'URSS. Le parti communiste entre alors officiellement en résistance. Les résistants communistes, les FTP, rassemblent les membres des OS, des bataillons de la jeunesse et de la main d'oeuvre immigrée. Paul Maertens est chargé d'organiser les FTP d'Eure-et-Loir : il forme de petits groupes réunissant un chef, un adjoint et des équipes de 3 à 4 membres. Après chaque action, le groupe est dispersé. Certains membres opèrent la nuit pour ne pas être repérés, vivent dans leur résidence habituelle tandis que d'autres, recherchés par la police, passent à la clandestinité. La fin de l'année 1941 est dédiée à l'organisation interne, au rassemblement d'armes et d'explosifs et à l'impression de tracts et de journaux. A partir de 1942, ils passent à l'action : destruction de wagons de paille réquisitionnés, sabotages de voies ferrées (Lucé) et de l'usine d'aviation de Dreux, attentats contre les bureaux de placement de Chartres et de Dreux... Devant l'ampleur prise par l'organisation, elle est organisée en secteurs à partir de l'été 1942 : Chartres, Maintenon, Nogent-le-Roi, Bonneval, Dreux, Illiers, Auneau, Voves, Courville, Châteaudun.

D'autres mouvements coexistent, comme le front national, issu du parti communiste, et représenté en Eure-et-Loir à partir de 1942, ou Libération-Nord, qui regroupe des gens venant de tous horizons, à partir de juillet 1943, et représenté par des personnalités comme Gabriel Herbelin (Duroc) dans le secteur de Nogent-le-Rotrou, ou les groupes francs Jubault dans le sud du département. A côté des mouvements, indépendants, des réseaux, affiliés à la France libre, se constituent et assurent la liaison avec Londres, d'une part avec le Special operations executive (SOE) créé par le premier ministre britannique Chuchill en 1940 pour encourager l'action clandestine dans les territoires occupés, et d'autre part avec le bureau central de renseignement et d'action (BCRA) rattaché à l'état-major du général de Gaulle.

Début 1943, la Résistance eurélienne n'en est qu'à ses balbutiements : fragmentée, mal équipée, désunie, elle s'oppose à l'occupant et au régime de Vichy avec les moyens du bord. Rapidement, elle comprend que, pour vaincre l'ennemi, il faut agir de manière coordonnée en lien avec la France libre, seule capable de fournir un soutien matériel.

L'unification de la Résistance débute en 1942. Le général de Gaulle missionne Jean Moulin pour rallier les différentes unités résistantes sous son autorité. Ainsi naissent les mouvements unis de Résistance (MUR), d'abord en zone libre, puis au nord, ce qui permet la formation du mouvement de libération nationale (MLN). Conscients de l'enjeu, les communistes rompent leur stratégie d'isolement et se font représenter auprès de Londres. Jean Moulin a réussi sa mission : le 27 mai 1943, la première réunion clandestine du conseil national de la Résistance (CNR) a lieu à Paris, associant mouvements de Résistance, partis politiques et syndicats. Le CNR reconnaît officiellement la légitimité du général de Gaulle et du comité français de libération nationale (CFLN) pour diriger la libération du pays. Peu après, Jean Moulin est arrêté le 21 juin 1943 et décède sous la torture le 8 juillet sans que cela arrête l'action du CNR : traque des ennemis de la Résistance, harcèlement militaire, sabotages, récupération d'armes et de munitions, assistance aux réfractaires du STO. Les responsables d'unités combattantes sont invités à se regrouper sous la direction des comités départementaux de libération (CDL) qui obéissent eux-mêmes aux directives du CNR et sont chargés d'enrôler de nouvelles recrues pour la Résistance. Cependant, des divergences persistent : tous les mouvements n'adhèrent pas au MLN, comme Libération-Nord ou l'organisation civile et militaire (OCM) et les communistes, certes représentés au sein du CNR, gardent jalousement leur autonomie. Des méfiances subsistent ainsi que la volonté de garder une forme d'indépendance vis-à-vis du général de Gaulle. Une étape décisive est franchie le 1er février 1944 : tous les mouvements se groupent pour former les forces françaises de l'intérieur (FFI). Une organisation militaire est établie sur tout le territoire avec un état-major, confié au général Koenig et un délégué militaire national disposant de représentants régionaux. Les départements sont confiés à un ou plusieurs commandants comme Maurice Clavel (Sinclair) et Pierre July en Eure-et-Loir. Là encore, l'unification reste incomplète. Bien qu'ayant contribué à la création des FFI, les communistes maintiennent leurs groupes FTP à l'écart pour préserver leur autonomie d'action, notamment à travers le Comac (comité d'action) qui revendique lui aussi la direction des opérations. Cette Résistance intérieure plus ou moins unifiée doit faire face à la méfiance des alliés. Elle se bat pour être reconnue comme une des forces pouvant participer à la libération du pays. Non sans mal : on lui reproche son improvisation et l'inexpérience militaire de ses membres. Mais en 1943, les alliés envisagent la possibilité d'une défaite allemande et d'un débarquement sur les côtes françaises. Ils intègrent alors la Résistance intérieure dans leur stratégie globale.

L'unification de la Résistance eurélienne est confiée à Sinclair en tant que chef des FFI. Jusque-là, les petites unités n'étaient pas forcément informées de ce qui se négociait au plus haut niveau de la Résistance, et poursuivaient en désordre leur action. Sinclair parvient à les rassembler en dépit des désaccords pouvant exister entre les chefs et met en place un état-major auquel participe même un commandant FTP (Armand Relaut dit Fernand). L'Eure-et-Loir est divisée en 5 secteurs : Chartres (commandant Grima), Nord (capitaine Divers), Ouest (Duroc), Sud (Maurice Roquet alias commandant Jacques) et Est (Bois). La Résistance eurélienne est désormais opérationnelle pour jouer son rôle dans la libération du pays.